Perspectives T4 : La Fed revient en mode assouplissement. Cette fois, est-ce différent ?

John J. Hardy
Responsable de la Stratégie Macro
Résumé: Le début des cycles d’assouplissement de la Fed est souvent semé de dangers, mais l’environnement actuel n’a pas d’équivalent dans l’histoire récente : le sentiment général reste très morose alors que les marchés ne cessent de grimper. Nous tentons d’éclaircir les perspectives encore floues pour le T4.
« C’était le meilleur des temps, c’était le pire des temps, c’était l’âge de la sagesse, c’était l’âge de la folie, c’était l’époque de la foi, c’était l’époque de l’incrédulité, c’était la saison de la Lumière, c’était la saison des Ténèbres, c’était le printemps de l’espérance, c’était l’hiver du désespoir. »
– Charles Dickens, Un conte de deux villes
La Fed engagerait un nouvel assouplissement au milieu du meilleur et du pire des temps
Le roman de Dickens se déroule sur fond de Révolution française, entre Londres et Paris, avec de forts contrastes entre effervescence intellectuelle et richesse concentrée d’un côté, et misère de masse de l’autre. De même, l’époque victorienne où Dickens écrivait, malgré la prospérité apparente de l’Empire britannique, serait marquée par d’énormes inégalités.
Aujourd’hui, l’économie américaine présenterait des contrastes similaires : d’un côté, le moral des ménages resterait proche de ses plus bas historiques (enquête de l’Université du Michigan), tandis que le président Trump enregistrerait des niveaux de désapprobation record pour une première année de mandat ; de l’autre, le marché boursier vivrait ses « meilleurs moments », avec des entreprises (surtout méga-cap et liées à l’IA) atteignant des records de valorisation.
Au troisième trimestre, l’indice S&P 500 aurait affiché une valorisation supérieure à 3,3 fois le chiffre d’affaires – un niveau inédit, contre environ 1,5 fois seulement au pic de 2007.
À l’échelle mondiale, la Chine encouragerait une révolution technologique domestique, ses marchés étant en plein essor. Les grandes capitalisations européennes auraient surperformé le marché américain en termes de rendement en dollars, et les marchés émergents auraient également mieux résisté que les États-Unis dans la même mesure. Les contrastes seraient donc saisissants et les perspectives plus incertaines que jamais.
Les marchés mondiaux poursuivraient-ils leur ascension, soutenus par un nouvel assouplissement de la Fed décidé en septembre et par un dollar plus faible ? Ou bien assisterions-nous à un recul en raison d’un ralentissement de la croissance, de l’effet cumulatif des tarifs douaniers agissant comme une taxe, du poids des taux d’intérêt élevés hérités du cycle précédent, ou encore d’un essoufflement de la frénésie d’investissement liée à l’IA ?
Risques de récession aux États-Unis : simple ralentissement lié aux tarifs ou tendance plus profonde ?
Les risques de récession aux États-Unis continueraient de s’accroître. Toutefois, si l’économie ne basculait pas en récession au T4, cela pourrait tenir à un léger rebond de la demande et de l’activité après dissipation des incertitudes commerciales. Les entreprises seraient aussi encouragées à investir grâce à la loi dite « Big Beautiful Bill » et à ses dispositifs d’amortissement accéléré. Certaines chercheraient également à diversifier plus activement leurs chaînes d’approvisionnement.
En parallèle, l’ampleur des investissements liés à l’IA pourrait dépasser celle des autres dépenses d’équipement et aurait été un moteur essentiel de la croissance américaine cette année.
Deux autres inconnues pèseraient sur l’économie américaine :
Le risque d’un shutdown gouvernemental, encore incertain au moment de la rédaction (même si un blocage prolongé semblerait peu probable politiquement).
L’impact des politiques anti-immigration, difficile à mesurer faute de données fiables, mais pouvant peser sur l’offre de travail et certains secteurs clés.
Enfin, la politique d’assouplissement de la Fed n’aurait peut-être pas encore produit tous ses effets : dans une économie financièrement très sensible aux effets de richesse, ses retombées sur l’activité réelle pourraient n’apparaître qu’avec retard, jusqu’en 2026.
Graphique : EURUSD versus écart de rendement entre bons du Trésor US à 10 ans et Bund allemand à 10 ans
Historiquement, le taux de change EURUSD aurait largement suivi l’écart de rendement entre les dettes de long terme des deux zones, comme illustré par le spread entre le 10 ans américain et le Bund allemand. Cette année, une divergence notable se serait produite : d’abord lorsque l’Allemagne a annoncé une expansion budgétaire massive, entraînant une forte hausse des rendements européens par rapport à leurs pairs mondiaux. Une expansion budgétaire serait en principe favorable à la devise. La forte hausse de l’euro par rapport au dollar s’expliquerait moins par des facteurs européens que par des inquiétudes autour de barrières commerciales américaines et de la politique de la dette aux États-Unis, pouvant réduire l’attractivité des flux de capitaux vers le marché américain.
Conflit Iran-Israël : apaisement ou escalade ?
Cette analyse est rédigée dans un contexte de reprise des hostilités entre Israël et l’Iran, Israël cherchant à bloquer les ambitions nucléaires de Téhéran. L’impact sur le marché pétrolier aurait été immédiat, ravivant la crainte d’une nouvelle vague d’inflation. Toutefois, les conséquences géopolitiques resteraient difficiles à anticiper pour les marchés. Les banques centrales, de leur côté, pourraient chercher à ignorer une hausse ponctuelle des prix de l’énergie si les perspectives de croissance et de confiance se dégradaient, et donc maintenir une posture accommodante malgré une inflation alimentée par l’énergie, si tel devait être le cas.
Risques de récession aux États-Unis
Les risques de récession augmenteraient au second semestre, notamment après le ralentissement post-tarifaire suivant l’élan observé en début d’année, et au vu d’indicateurs avancés pointant vers un affaiblissement. La politique monétaire restrictive prolongée de la Réserve fédérale, combinée à une inflation relativement contenue, ajouterait à la pression, avec un marché immobilier montrant déjà de fortes tensions. Le scénario central serait celui d’une récession modérée au second semestre, avant une reprise inflationniste début 2026 à l’approche des élections de mi-mandat.
Les perspectives de croissance seraient aussi pénalisées par les tarifs douaniers, qui agiraient comme une taxe, réduisant la consommation réelle. Par ailleurs, les politiques anti-immigration de l’administration Trump pourraient avoir un effet significatif : des travailleurs sans statut légal quitteraient certains secteurs (agriculture, construction, hôtellerie), entraînant un impact sur l’offre de main-d’œuvre et la consommation.
Un facteur imprévisible résiderait dans l’impact de l’IA : la substitution de certaines fonctions qualifiées par des outils d’IA pourrait amorcer la première « récession des cols blancs ». Des preuves tangibles pourraient émerger dès le troisième trimestre.
Perspectives de marché anticipées
Le dollar américain resterait sous pression.
Les métaux précieux conserveraient une dynamique positive.
La politique « Trump 2.0 » serait marquée par un virage anti-mondialisation, qualifié par certains économistes de « capitalisme national », ou encore de « mercantilisme inversé ». Le dollar demeurerait la principale devise mondiale, mais son rôle relatif déclinerait.
Les grands acteurs économiques réinvestiraient moins leurs capitaux aux États-Unis, rééquilibrant davantage vers l’épargne et la consommation domestiques. L’Europe montrerait déjà cette tendance, stimulée par les incertitudes sur l’alliance transatlantique et la nouvelle politique budgétaire allemande, qui aurait renforcé l’euro. La paire EURUSD pourrait ainsi évoluer vers 1,25 d’ici la fin de l’année. Le Japon, de son côté, tarderait à trouver un compromis commercial, mais la faiblesse persistante du yen pourrait forcer un réajustement vers une devise plus forte.
Les métaux précieux tirent la performance des matières premières
(Analyse d’Ole Hansen, Responsable de la Stratégie Matières Premières chez Saxo)
Le secteur des matières premières serait en passe d’afficher une solide performance au premier semestre, avec un indice Bloomberg Commodities en hausse d’environ 9 % à la date de rédaction, surclassant actions et obligations libellées en dollar. Contrairement à une dynamique classique liée à la croissance, la hausse actuelle serait surtout alimentée par les risques géopolitiques et par la demande d’actifs tangibles, en particulier les métaux précieux.
L’or aurait mené la tendance depuis plusieurs mois, rejoint récemment par l’argent et le platine, soutenus par une combinaison de facteurs : inquiétudes liées à l’endettement, perturbations de l’offre dues aux tarifs, affaiblissement du marché du travail et faiblesse persistante du dollar. Ces évolutions pourraient inciter la Réserve fédérale à adopter une posture plus accommodante. La poursuite des achats d’or par les banques centrales, combinée à des pressions inflationnistes, pourrait créer les conditions d’une progression du métal jaune vers 4 000 USD sur douze mois.
L’argent, ayant récemment dépassé les 35 USD, pourrait poursuivre son rattrapage face à l’or, le ratio or/argent se situant encore bien au-dessus de sa moyenne quinquennale.
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