L’Asie, pilier caché de l’IA : quand la réalité industrielle prend le pas sur la bulle spéculative
Charu Chanana
Responsable de la Stratégie Investissement
Points clés :
- L’Asie, colonne vertébrale de l’IA : Environ 70 % de la production mondiale de semi-conducteurs, 90 % de la mémoire dédiée à l’IA et presque toute la capacité d’emballage avancé se trouvent à Taiwan, en Corée et au Japon, faisant de la région un maillon essentiel de l’écosystème de l’intelligence artificielle.
- Une approche de valeur, pas de rupture : Selon notre analyse, les acteurs asiatiques offrent une exposition plus abordable et davantage liée aux résultats de la construction de l’écosystème IA, tout en restant intégrés au même cycle technologique mondial.
- Quand l’euphorie se calme, les fondamentaux reprennent le dessus : L’Asie se situe du côté des flux d’investissements (capex) entrants, et non sortants. Ses usines tournent à plein régime, quel que soit le vainqueur de la course logicielle aux États-Unis.
Contexte général
L’enthousiasme autour de l’intelligence artificielle reste élevé, mais les inquiétudes liées à une possible bulle spéculative se renforcent. Les valorisations technologiques américaines sont tendues, avec le secteur des technologies de l’information du S&P 500 se négociant autour de 30× les bénéfices anticipés (source : Bloomberg, nov. 2025). Le rallye s’est resserré, porté par un petit nombre de valeurs à très forte capitalisation.
Parallèlement, la construction physique des infrastructures de l’IA — puces, serveurs, centres de données — avance à pleine vitesse, et une grande partie de cette activité se déroule en Asie.
Si les États-Unis vendent le rêve de l’IA, l’Asie en construit les machines.
D’après les rapports d’entreprises, l’Asie représente environ 70 % de la capacité mondiale de production de puces de pointe (TSMC ~71 %), 90 % de la mémoire haut débit (SK Hynix + Samsung) et presque toute la production d’emballage avancé.
Alors que l’attention des investisseurs passe de « qui conçoit l’IA la plus intelligente » à « qui fournit les outils », les acteurs asiatiques apparaissent comme la face « valeur » du marché de l’IA.
L’IA américaine : forces et fragilités
Les entreprises américaines conservent leur leadership en matière d’innovation, mais plusieurs risques apparaissent :
- Risque de concentration : Quelques titres — Nvidia, Microsoft, Alphabet — dominent le marché de l’IA.
- Tension entre investissements et rendement : Le boom actuel de l’IA a déclenché le plus grand cycle d’investissement d’entreprise de l’histoire. Selon Morgan Stanley, les grands acteurs du cloud (« hyperscalers ») devraient dépenser environ 700 milliards USD en investissements d’ici 2027, tirés par la course à l’expansion des centres de données compatibles IA. L’ampleur de cette vague d’investissement est sans précédent, même comparée aux époques du dot-com ou du mobile, ce qui soulève des doutes sur la rentabilité future.
- Contraintes énergétiques : La demande mondiale d’électricité des centres de données pourrait presque doubler pour atteindre ~950 TWh d’ici 2030 (source : IEA 2024).
- Circularité : De nombreux géants technologiques sont à la fois clients et fournisseurs dans l’écosystème IA, créant des boucles de revenus dépendantes du climat de marché. Ce modèle fonctionne tant que les dépenses progressent, mais pourrait vaciller si les budgets se resserrent.
- Fatigue de valorisation : Des multiples élevés signifient que la moindre déception peut entraîner de fortes corrections. Si les risques budgétaires américains refont surface et que les taux obligataires augmentent, les valeurs de croissance et celles liées à l’IA pourraient subir une pression de valorisation accrue.
Pourquoi l’Asie compte plus que jamais
a) Une base industrielle incontournable
- TSMC (~71 % du marché des fonderies) produit les wafers avancés qui alimentent les principales puces IA.
- SK Hynix et Samsung détiennent ensemble plus de 90 % du marché mondial de la mémoire HBM.
- Lasertec, Advantest et Ibiden (Japon) jouent un rôle clé dans l’inspection, le test et les substrats.
Ensemble, ils forment la chaîne de production qui transforme les investissements IA en puissance de calcul. L’Asie se situe du côté des flux d’investissements entrants : ses usines tournent, indépendamment du vainqueur de la course logicielle américaine.
b) Un avantage d’infrastructure
Les pôles asiatiques de semi-conducteurs disposent déjà de l’énergie, du foncier et de la main-d’œuvre qualifiée nécessaires à leur expansion. Les nouveaux projets, comme la fonderie TSMC de Kumamoto, le cluster de Yongin en Corée ou encore le doublement prévu des capacités d’emballage CoWoS, illustrent comment politiques publiques et investissements privés convergent pour accélérer la montée en puissance. Contrairement aux États-Unis, où la croissance des centres de données rencontre des limites liées au réseau électrique, l’expansion asiatique reste plus efficiente en capital et plus rapide à exécuter.
c) Des valorisations plus raisonnables
D’après Bloomberg, les ratios de valorisation anticipés pour les marchés technologiques asiatiques sont :
- Corée : ~10–12× les bénéfices attendus
- Japon : Entre 15 et 20× avec une croissance des bénéfices à deux chiffres
- Taiwan : Multiples autour de 15× malgré des carnets de commandes record
Ces niveaux offrent un ancrage fondamental et un coussin de valorisation relatif, sans toutefois supprimer tout risque.
Les signes du basculement
- Jensen Huang (Nvidia) a récemment souligné sa dépendance envers TSMC et demandé davantage de puces pour répondre à la demande liée à l’IA.
- SK Hynix anticipe une croissance annuelle supérieure à 30 % de la mémoire HBM d’ici 2026.
- Samsung valide la production du modèle HBM4 pour 2026.
- SoftBank a récemment cédé pour 5,8 milliards USD d’actions Nvidia pour se recentrer sur l’écosystème japonais de l’IA.
Ces évolutions montrent que les acteurs asiatiques passent du rôle de fournisseurs à celui de maillons stratégiques dans la chaîne mondiale de valeur de l’intelligence artificielle.
Pourquoi l’Asie pourrait incarner le « pari de valeur » de l’IA
- Des valorisations plus basses : Les valeurs exposées au matériel se négocient encore à des niveaux inférieurs à leurs homologues américaines.
- Visibilité sur les résultats : Des carnets de commandes pluri-trimestriels apportent une meilleure prévisibilité.
- Effet de levier sur les investissements : Une grande partie des dépenses mondiales en infrastructures IA alimente les chaînes d’approvisionnement asiatiques.
- Soutien des politiques publiques : Les réformes de gouvernance au Japon et l’initiative « Value-Up » en Corée visent à renforcer la création de valeur pour les actionnaires.
Les acteurs asiatiques offrent ainsi une exposition plus abordable et mieux ancrée dans les résultats à la croissance de l’IA mondiale, tout en restant soumis aux cycles technologiques globaux.
Graphique 1 : ratios cours/bénéfice à 12 mois

Source : Bloomberg
Les risques
- Concentration : La capacité clé est concentrée entre quelques acteurs (TSMC, SK Hynix, Samsung, Lasertec).
- Géopolitique : Les évolutions réglementaires à l’export ou les tensions régionales pourraient perturber l’approvisionnement.
- Risque cyclique : Si les investissements IA ralentissent, les marges pourraient se normaliser rapidement.
- Effet de surpopulation : Les grandes valeurs IA asiatiques sont déjà largement détenues par le marché.
Scénarios possibles
- Si l’IA américaine poursuit sa progression : L’Asie devrait suivre le mouvement, avec les leaders (TSMC, SK Hynix, Samsung) en tête et les fournisseurs secondaires rattrapant progressivement.
- Si l’euphorie se tempère mais que les investissements se maintiennent : L’Asie pourrait mieux résister en relatif, soutenue par la continuité des commandes et des projets d’infrastructure.
- Si les investissements américains ralentissent : L’Asie pourrait souffrir à court terme en raison de son effet de levier opérationnel ; la diversification des carnets de commandes sera alors déterminante avant tout retour à une prise de risque accrue.
En résumé
Alors que les valeurs technologiques américaines font face à des coûts plus élevés et à des valorisations tendues, l’Asie semble offrir une voie d’accès plus abordable et plus ancrée dans les résultats à la même mégatendance mondiale.
Remarque : l’auteur ne détient aucune position sur les titres mentionnés.
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