La politique française est-elle sur le point d’infliger un sévère rappel à la réalité à l’euro ?

John J. Hardy
Responsable de la Stratégie Macro
Résumé: L’euro vacille face aux turbulences politiques françaises, qui creusent fortement l’écart de taux entre l’Allemagne et la France. Pendant ce temps, le président américain Donald Trump annonce la révocation de la gouverneure de la Fed Lisa Cook, laquelle refuse de partir.
La tempête de Jackson Hole dans un verre d’eau
Le discours de vendredi à Jackson Hole du président de la Fed, Jerome Powell, a provoqué une réaction marquée sur le dollar américain. Powell s’est montré plus accommodant que prévu, préparant plus clairement une baisse des taux de la Fed en septembre. Toutefois, le mouvement du dollar paraît exagéré au regard de l’évolution des taux d’intérêt américains. Désormais, ce sont les données économiques qui dictent la trajectoire, l’ère du « forward guidance » étant révolue. L’attention se porte désormais sur la manière dont les économies vont gérer des dynamiques de stagflation, la pression sur les taux et la nécessité de maintenir des marchés obligataires souverains ordonnés dans des économies saturées de dettes.
Les vieux démons de la zone euro reviennent-ils hanter l’euro ?
La paire EUR/USD a atteint 1,1740 vendredi avant de retomber hier près de 1,1600, le marché semblant désormais prendre au sérieux les turbulences politiques françaises, mais aussi les risques structurels inhérents à la construction de la zone euro : plusieurs États souverains pour une seule banque centrale. Le Premier ministre français, François Bayrou, a convoqué un vote de confiance le 8 septembre pour faire adopter un plan d’austérité destiné à réduire un déficit public toujours près du double de la limite de 3 % fixée par les règles européennes.
L’écart de rendement à 10 ans France–Allemagne s’est creusé à 77 points de base, contre 65 il y a deux semaines, signe que le marché doute de la capacité du gouvernement à réussir. La dernière fois, avant l’arrivée de Bayrou, le spread avait culminé à 88 points. Les investisseurs obligataires parviendront-ils à contraindre les responsables politiques français à avancer sur l’austérité, ou prendront-ils le risque d’un scénario « Truss-nomics » sur la dette française si le gouvernement échoue ? Après l’austérité sévère qui a suivi la crise de la dette de 2010, il est peu probable que les pays périphériques aient la moindre indulgence pour la situation française. À quel niveau de tension sur la dette faudrait-il arriver pour que la BCE intervienne ?
Au-delà de l’EUR/USD, l’euro paraît aussi surévalué face à d’autres devises (EURNOK, EURSEK, EURNZD, EURAUD) si un véritable test du marché obligataire français se profile.
Trump tente de révoquer la gouverneure de la Fed, Lisa Cook
Le président Trump a annoncé qu’il destituait la gouverneure de la Fed Lisa Cook, avec effet immédiat. En théorie, un président ne peut renvoyer un gouverneur de la Fed que « pour motif valable », en cas de faute grave ou de négligence. L’équipe de Trump s’appuie sur de supposées irrégularités dans une demande de prêt immobilier afin d’obtenir de meilleures conditions. Lisa Cook refuse de partir. Sur le plan judiciaire, la procédure pourrait passer par plusieurs niveaux de juridictions fédérales avant d’éventuellement finir devant la Cour suprême. L’enjeu est de taille : son éviction donnerait à Trump une majorité au sein du Conseil des gouverneurs de la Fed, avant même la nomination d’un nouveau président pour remplacer Powell.
L’impact sur le dollar est complexe, car la plupart des grandes devises sont confrontées à des dynamiques similaires : le risque d’une crise de dette souveraine nécessitant une réponse politique en cas de tensions. Que ce soit au Royaume-Uni, au Japon, aux États-Unis ou en France, la question de la soutenabilité des déficits et trajectoires d’endettement se pose partout, avec des marges de manœuvre très variables. La France est la plus contrainte puisqu’elle ne dispose pas de banque centrale nationale et dépend de la BCE en cas d’urgence. Le théâtre politique américain est le plus bruyant, notamment du fait du style de Trump, mais les États-Unis ne sont pas une exception quant aux défis à venir alors que les banques centrales perdent en indépendance dans les prochaines phases de réponse politique.
Graphique : EUR/USD
La paire EUR/USD a évolué de manière heurtée ces derniers jours : d’abord propulsée par le discours accommodant de Powell à Jackson Hole, puis corrigée lorsque le marché a relativisé la portée de ce discours. Les tensions politiques en France, avec la perspective d’un vote sur un budget d’austérité voué à l’échec face à la gauche et à la droite populiste, renforcent les risques pour l’euro.
Parallèlement, l’indépendance de la Fed est clairement remise en question, que ce soit rapidement avec un départ de Lisa Cook et son remplacement par un profil accommodant, ou plus tard avec la fin du mandat de Powell en mai prochain. Techniquement, l’inversion brutale du mouvement paraît baissière, mais il faudrait une cassure nette sous le récent plus bas à 1,1583 pour ouvrir la voie vers 1,1400, voire plus bas.
Perspectives
La situation politique française semble redonner de l’énergie au marché, en introduisant une nouvelle variable à surveiller alors que les écarts de rendement souverains redeviennent un sujet en Europe. Compte tenu des niveaux atteints par l’euro face à d’autres devises, la monnaie unique apparaît d’autant plus vulnérable si les spreads français venaient à s’élargir. Qui sait, peut-être que le président Macron préfère laisser faire et espérer que les « vigilantes » obligataires disciplineront un Parlement indocile, en considérant l’élargissement des spreads comme un contrepoids politique ?
Par ailleurs, il reste à voir si Lisa Cook continuera de se battre pour conserver son siège au sein du conseil de la Fed – les anticipations de taux à court terme n’ont guère évolué malgré toute cette agitation. Cela ressemble davantage à un problème de confiance structurelle dans les marchés obligataires (et pas seulement aux États-Unis, comme indiqué plus haut) qu’à une question de savoir si la Fed sera à +/– 25 points de base par rapport aux attentes actuelles d’ici six mois.
Tableau des devises G10 et évolution du CNH
Le dollar américain est resté stable après la forte secousse de vendredi, dans un contexte de volatilité plutôt faible malgré la polémique sur l’indépendance de la Fed. Plus intéressant : la solidité du yuan offshore (CNH) et la chute brutale de l’euro en termes de momentum ces derniers jours.
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