Prendre son mal en patience
Christopher Dembik
Responsable de l'analyse macroéconomique
Il y a quelques semaines de cela, nous avions eu l’occasion d’échanger avec beaucoup d’analystes ayant dix, quinze, vingt ans d’expérience. Tous sont issus de grandes maisons. Ils tenaient le même discours : la baisse des valorisations est telle qu’il faut s’attendre à ce que le marché rebondisse d’un moment à l’autre, y compris sur le segment des valeurs technologiques qui est plus soumis à la hausse des taux. Pour justifier leur argumentaire, ils mettaient en avant leurs « modèles ». Nous étions dubitatifs. Le marché ne réagit pas en fonction des modèles. Surtout, quasiment aucun intervenant de marché n’a connu un risque réel de stagflation qui puisse se transformer potentiellement en récession. De notre point de vue, les marchés financiers vont rester fébriles tant qu’il n’y aura pas d’éclaircie sur le plan macroéconomique (le pic d’inflation est-il atteint ?) et tant que nous ne saurons pas plus clairement quelle va être la direction de la politique monétaire. Aujourd’hui, nous naviguons à vue. Dans le meilleur des cas, nous avons une visibilité à deux mois sur la politique monétaire. C’est inédit. Il existe évidemment des opportunités, ici et là, pour se porter à l’achat. La baisse de certaines grandes valeurs technologiques est irrationnelle. La chute de Lululemon (-23%) depuis le début de l’année est insensée (nous apprécions beaucoup cette valeur chez Saxo Banque). Mais considérer que le rebond est imminent est certainement une erreur. Nous estimons que les trois prochains mois, au moins, devraient être compliqués du point de vue boursier.
- La bourse de Paris n’a pas réussi à finir dans le vert la semaine dernière. Le CAC 40 affiche un repli en variation hebdomadaire de 0,47%. C’est une baisse faible. Mais cela prouve que nous ne sommes pas encore sortis d'affaires. Quelques valeurs ont réussi à tirer leur épingle du jeu lors de la séance de vendredi : Euroapi (+3,4%) – filiale de Sanofi qui fait l’unanimité auprès des analystes depuis son introduction en bourse il y a quinze jours de cela -, Veolia (+1,30%) et Sanofi (+0,73%). Les secteurs des semi-conducteurs et de l’automobile restent toujours fragiles, à moyen terme. Le titre Renault a baissé de 1,92% vendredi, par exemple. Il faut soit rester à l’écart soit shorter ces valeurs. Hors de France, les autres bourses sont aussi dans le rouge. L’Ibex-35 espagnol a fortement décroché (2,25% la semaine dernière). Une liquidité plus réduite et la perception que les pays du Sud de la zone euro sont plus vulnérables sont deux des facteurs principaux qui expliquent la baisse plus accentuée qu’on observe en Espagne mais aussi en Italie. De l’autre côté de l’Atlantique, l’hémorragie continue pour le Nasdaq Composite. Malgré la forte baisse des valorisations, les acheteurs ne sont pas revenus. Meta était encore en repli de 1,70% sur la semaine écoulée, par exemple.
- Aux Etats-Unis, le ralentissement du marché du travail n’est pas préoccupant. Les créations d’emplois ont atteint 390 000 en mai (330 000 dans le secteur privé dont 274 000 pour le seul secteur des services, et 57 000 dans le secteur public). La moyenne mobile sur trois mois se situe à 408 000 (soit un point bas depuis le début de l’année). En outre, le chiffre pour le mois d’avril a été revu légèrement à la baisse (-22 000). Le taux de chômage officiel est stable à 3,6% tandis que le taux de participation augmente marginalement de 0,1 point à 62,3%. En ce qui concerne les hausses de salaires, la progression est de 0,3% en variation mensuelle et de 5,2% en variation annuelle (repli de 0,3 point par rapport à avril). Il s’agit, dans l’ensemble, d’un bon rapport sur l’emploi communiqué par le Département du Travail américain. La dynamique économique reste solide, mais elle ralentit. Il faut cependant noter qu’il manque entre 822 000 emplois par rapport au niveau d’avant-Covid. Le PIB américain a dépassé son niveau d’avant-crise mais les emplois détruits par la pandémie n’ont pas encore tous été retrouvés. Ces données devraient avoir peu d’impact direct sur la politique monétaire américaine à court terme. La voie est tracée : deux hausses de taux de 50 points de base chacune en juin et en juillet sont prévues. L’incertitude demeure concernant l’attitude de la Réserve Fédérale américaine en septembre. Cela dépendra beaucoup de la trajectoire de l’inflation. Selon nous, il est probable que le pic d’inflation aux Etats-Unis ne soit pas encore passé (en raison du regain de hausse des prix sur les matières premières récemment).
- Aucune statistique aujourd’hui.
Plus tard cette semaine, les investisseurs seront attentifs à la réunion de la Banque Centrale Européenne (BCE) prévue jeudi. Depuis quelques jours, les faucons du Conseil des gouverneurs (qui sont minoritaires) ont lancé une opération médiatique afin de plaider en faveur d’un durcissement monétaire plus accentué. Certains analystes anticipent qu’une hausse des taux surprise pourrait avoir lieu dès cette semaine. C’est peu probable. En revanche, il y a un débat réel sur l’ampleur de la hausse des taux en juillet. La majorité du Conseil plaide officiellement pour une hausse timide de 25 points de base (c’est le cas de Christine Lagarde, entre autres). Mais ce ne sera peut-être pas suffisant pour convaincre le marché de sa capacité à contenir les pressions inflationnistes alors que l’indice des prix à la consommation a bondi de 7,4% sur un an en avril à 8,1% en mai (première estimation). Il nous paraît évident que la BCE est en retard dans le cycle économique. Son action pendant la pandémie a été louée. Son action face à l’inflation galopante sera critiquée.
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