Panique
Christopher Dembik
Responsable de l'analyse macroéconomique
Nous avons eu tort. La Réserve Fédérale américaine (Fed) a finalement augmenté son taux directeur de 75 points de base (entre 1,50% et 1,75%). On peut interpréter cette décision comme un geste un peu désespéré pour regagner de la crédibilité. Ce qui est certain, c'est que cela envoie un message de panique concernant la dynamique d'inflation mais également l'évolution de la croissance (nous y revenons par la suite en évoquant les licenciements massifs qui ont cours aux Etats-Unis, en ce moment). Il est, dans tous les cas, probable que la Fed n'aura pas d'autre choix que d'être très agressive dans les mois à venir afin de faire refluer l'inflation, avec le risque évident que cela ne précipite l'économie américaine en récession (ou en recessionette, pour reprendre l'expression de mon amie économiste Diane Swonk). Nous pensons toujours que la volatilité va rester élevée à court et à moyen terme sur les marchés financiers. La décision d'hier ne devrait pas permettre une accalmie durable. Le problème lié à la baisse de la liquidité (extrêmement perceptible sur le haut rendement) subsiste.
- Hier, la Banque Centrale Européenne (BCE) a organisé une réunion extraordinaire pour discuter de la fragmentation financière au niveau du marché obligataire de la zone euro (se focalisant essentiellement sur la stratégie de réinvestissement et la possibilité qu'un nouveau mécanisme visant à contenir l'écartement des spread voit le jour dans les semaines à venir). Rien de très nouveau. Pendant ce temps, la tension continue sur le marché obligataire. Elle restait contenue sur l’obligataire italien jusqu'à il y a encore quelques jours. Mais elle se répand désormais dans les autres pays du Sud de la zone euro (Espagne, en particulier). La volatilité a également fortement augmenté. La BCE va devoir annoncer de nouvelles mesures très vite. Nous tablons sur un mécanisme s’inspirant du programme OMT (Opérations monétaires sur titres). Il n'a jamais été activé. Il permet d’acheter dans des quantités illimitées de la dette souveraine d’un pays à condition que ce dernier mette en place un programme de réformes structurelles très cadré. Ce n’est pas acceptable. Il est vraisemblable que les discussions (du point de vue politique) vont porter sur un mécanisme moins contraignant. L’Italie pourrait être le premier pays à en bénéficier si le spread avec l’Allemagne continue de s’écarter (245 points de base contre 120 points de base au début de l’année)
- Il n’y a pas que le marché actions qui est en panique. C’est aussi le cas du marché obligataire. Le taux souverain de l’Italie et de l’Espagne est à un point haut depuis 2013. Celui des Etats-Unis a renoué avec son niveau de 2011. On sait très bien qu’il y a un problème avec les banquiers centraux qui sont en retard par rapport au cycle économique et qui ont eu un diagnostic erroné de la situation sur le front de l’inflation. Les valeurs de croissance sont les plus pénalisées (car elles sont plus réceptives à l’évolution des taux). Mais toutes les valeurs souffrent. Les investisseurs n’y croient plus. Pourtant, les marchés ne sont pas très chers (PER de 12 sur le CAC 40, par exemple). Ils cherchent tous (à raison) à sécuriser leurs profits actions. Dans les semaines à venir, il faudra continuer de surveiller la macroéconomie pour espérer avoir un rebond. S’ajoute à cela le VIX (qui est encore très loin des points de vigilance) et les flux actions (qui sont pour l’instant positifs et c’est une lueur d’espoir importante). La seule bonne nouvelle (à relativiser) dans ce contexte : on observe un peu de détente sur l’énergie et les matières premières agricoles qui, au contraire de toutes les autres classes d’actifs, étaient orientés positivement depuis des semaines.
- Au niveau microéconomique, les entreprises américaines commencent à ajuster leur business plan à la nouvelle donne économique (inflation permanente et ralentissement de l’activité). Au cours des derniers jours, plusieurs entreprises ont annoncé des réductions d’effectifs importantes : Warner Bros Discovery (coupe de 30% dans les effectifs dédiés à la publicité), Redfin Corporation (8% du total des employés), Compass (10% à cause du ralentissement du marché de l’immobilier), Coinbase (18% des effectifs). Ce n’est certainement que le début. Certaines coupes sont effectives dès cette semaine. Il est donc probable que les chiffres de l’emploi pour juin (publiés début juillet) soient moins bons qu’initialement prévu. La Fed devrait déjà gérer une inflation galopante qui va certainement atteindre 10% dans les trois à quatre mois à venir. S’ajoute à cela un ralentissement plus rapide que prévu du marché de l’emploi.
Deux banques centrales sont à l’ordre du jour : la Banque Nationale Suisse (BNS) et la Banque d’Angleterre (BoE). Il y a une faible probabilité que la BNS décide d’augmenter son taux directeur de 25 points de base dès cette semaine (le portant à -0,50% contre -0,75%). Depuis plusieurs semaines, les autorités de la banque centrale ont fait part de leur inquiétude à propos de la dynamique d’inflation (l’indice des prix à la consommation a atteint 2,9% sur un an en mai – c’est comparativement bas mais cela s’explique par le fait que beaucoup de prix sont encore réglementés en Suisse). Une hausse du taux directeur ferait sens puisque la politique monétaire de la BNS suit de près celle de la BCE. La réunion de la BoE soulève moins d’incertitudes. Une hausse du taux directeur à 1,25% contre 1,0% actuellement est acquise. Beaucoup de membres du Comité de politique monétaire sont préoccupés par le ralentissement de la croissance. Mais il est trop tôt pour arrêter le cycle de durcissement des taux. La perspective d’une hausse des taux est déjà intégrée dans les cours du GBP (aucun impact majeur à prévoir).
Les résultats d’entreprises continuent avec Adobe, Kroger (grande distribution aux Etats-Unis) et Jalma.
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