L’impulsion du crédit envoie un nouveau signal d’alarme aux marchés
Christopher Dembik
Responsable de l'analyse macroéconomique
Résumé: En début d’année, le scénario privilégié par le consensus reposait sur l’idée que la croissance était bien orientée et que les risques d’un ralentissement étaient limités malgré un contexte de guerre commerciale et les déboires du commerce mondial. Dans les faits, la croissance n’est pas aussi solide qu’elle y paraît aux États-Unis et au Japon.
Or, autre mauvaise nouvelle : la situation pourrait empirer. La récente contraction de l’impulsion du crédit nous pousse à oser cette déclaration. Les économistes utilisaient auparavant le stock de crédit pour comprendre le cycle économique, mais plusieurs articles académiques publiés depuis la crise financière (Biggs, Calvo, Ermisoglu) ont démontré que le flux de nouveaux crédits, également appelé impulsion du crédit, permet de mieux évaluer la trajectoire future de l’économie. Cet indicateur devance l’économie de 9 à 12 mois et affiche une corrélation de 60 %.
Selon nos estimations, l’impulsion mondiale du crédit s'essouffle de nouveau et ressort à -1,8 % du PIB mondial. L’amplitude de la contraction est similaire à celle constatée au quatrième trimestre 2015. La contraction de l’impulsion du crédit observée cette année-là avait provoqué un repli de la croissance mondiale à son plus bas niveau du cycle économique : le PIB mondial avait progressé de 3,09 % seulement en 2016. Nous n’en sommes pas encore là, mais la façon dont la guerre commerciale a évolué récemment nous invite à faire preuve de prudence dans nos prévisions de croissance.
Jusqu’à présent, la moitié des pays de notre échantillon connaissent une contraction de l’impulsion du crédit et l’autre moitié, à l’exception de quelques pays émergents (comme l’Inde et la Russie), connaissent une décélération des flux de nouveaux crédits dans l’économie. Dans les pays développés, la tendance la plus inquiétante est visible aux États-Unis. L’impulsion du crédit s’établit à -2,2 % du PIB, soit son plus bas niveau depuis 2009. L’indicateur composite avancé de l’OCDE, surveillé de près par toutes les sociétés de gestion du monde, confirme également ce signal négatif. L’indice se situe à son plus bas niveau depuis l’automne 2009 et le taux est passé de -0,68 % à -1,65 % au cours des douze derniers mois. Ces niveaux impliquent généralement un risque de récession. Maintenant que l’économie américaine n’est plus stimulée par des allègements fiscaux massifs et qu’elle pâtit des conséquences préjudiciables de la guerre commerciale, en particulier pour les ménages américains, les perspectives pourraient continuer à se dégrader dans les prochains mois. Cela renforce notre point de vue selon lequel le cycle économique est plus fragile que ce que croient de nombreux observateurs, en particulier aux États-Unis.
S’il ne fait aucun doute que la Chine soit en mesure de stimuler son économie, il n’est pas du tout certain que les États-Unis et la zone euro puissent faire de même à cause des contraintes en termes de politique monétaire et de politique budgétaire auxquelles ils sont soumis. Aux États-Unis, le gouvernement a d’ores et déjà utilisé des mesures de relance budgétaire, ce qui a concouru à creuser davantage le déficit fédéral déjà colossal alors même que le pays connait une période de croissance. Les allègements fiscaux ont eu un impact macroéconomique très important, mais l’effet de ces mesures pourrait totalement disparaître si le gouvernement américain décide de mettre en place un droit de douane de 25 % sur les importations chinoises restantes, dont la valeur est estimée à $300 milliards. Les investisseurs attendent beaucoup de la Réserve fédérale : ils sont entre 60 % et 70 % à penser qu’elle abaissera ses taux à l’issue de la réunion du Comité de politique monétaire de décembre, mais cette prévision est un peu prématurée. Ce n’est pas ainsi que la Fed fonctionne. Nous avons tous vu les signaux d’alerte liés à la guerre commerciale, mais l’histoire nous montre que ce n’est pas suffisant pour que la Fed se résolve à baisser ses taux. Au mieux, la Fed pourrait adopter un ton plus conciliant dans sa communication sur l'évolution probable de sa politique monétaire (« forward guidance »). Pour qu’une baisse des taux ait lieu, il faudrait concomitamment une faible inflation, une forte contraction de la consommation et un resserrement des conditions de financement, ce qui n’est pas encore le cas. Par conséquent, il y a fort à parier que les investisseurs seront déçus par la réponse que la Fed apportera aux tensions commerciales grandissantes.
Enfin, sur la zone euro. Le potentiel de croissance y est plus faible qu’aux États-Unis, ce qui explique pourquoi la croissance n’y est pas plus forte. Malgré les difficultés que rencontre le secteur manufacturier, la demande intérieure résiste bien. La BCE dispose d’une marge de manœuvre réduite pour stimuler l’économie en cas de ralentissement : une nouvelle série d’opérations ciblées de refinancement à long terme ne suffira pas à relancer l’économie. Partant, le seul levier encore disponible est la politique budgétaire, mais nous doutons fortement de la capacité des responsables politiques européens à trouver un accord sur ce sujet. Les partis populistes, en particulier en Italie, militent pour de nouvelles mesures de relance budgétaire. Cela serait opportun dans un contexte d’investissements productifs coordonnés. Mais le pacte de stabilité et de croissance, dont la nécessaire révision ne semble pas à l’ordre du jour, empêche la mise en œuvre de mesures de ce type. En d’autres termes, malgré son statut de deuxième puissance économique mondiale, la zone euro reste l’une des régions développées les plus fragiles à cause de sa capacité de mise en œuvre limitée d’une politique contracyclique.
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