

Christopher Dembik
Responsable de l'analyse macro-économique
Résumé: Depuis 2014, l'Union européenne (UE) a eu tout le loisir de réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Fédération de Russie. Au lieu de cela, les importations de gaz et de pétrole en provenance de Russie ont augmenté. Le conflit ukrainien devrait servir de signal d'alarme à l'UE sur la nécessité urgente de diversifier ses sources d'énergie. Cela n'arrivera pas du jour au lendemain. Mais il existe heureusement plusieurs solutions.
La situation actuelle : La Russie produit actuellement 10,1 millions de barils de pétrole par jour, dont 5 millions sont exportés à l’international sous forme de pétrole brut. L’Union européenne (UE) reçoit quasiment la moitié de cette production. Les pays de l’UE les plus vulnérables sont l’Allemagne (pour les raffineries), les Pays-Bas et la Pologne. Ils représentent 48% de toutes les exportations de pétrole brut en provenance de Russie. La Russie représente également 46,8% des importations de gaz naturel de l’UE, contre 32% en 2012. La plus grande dépendance énergétique de l’UE à l’égard de la Russie est en partie la conséquence de la transition verte mise en œuvre par l’UE ces dernières années. L’UE a activement promu les énergies renouvelables intermittentes. Or, ces dernières ne peuvent assurer un approvisionnement constant en énergie tout en militant pour la fermeture des centrales nucléaires (en Allemagne et en Belgique, par exemple). Cela a contribué à accentuer la dépendance aux importations de gaz naturel.
L’Allemagne est le pays de l’UE le plus vulnérable : 55% des importations de gaz proviennent de Russie, une hausse de 15 points par rapport à 2012. Cela représente également 26,7 % de la consommation d’énergie primaire dans le monde. Le gaz russe est transporté via trois gazoducs à destination de l’Allemagne, premier point d’entrée vers l’UE : Nord Stream 1, opérationnel depuis 2012, Yamal-Europe et Brotherhood. Hier, le chancelier allemand Olaf Scholz a suspendu l’autorisation du gazoduc Nord Stream 2, qui aurait permis à la Russie de doubler sa capacité d’exportation vers l’Allemagne, de 59 milliards de mètres cubes à environ 100 milliards de mètres cubes. C’est une décision majeure et l’occasion pour l’Allemagne de revoir sa politique à l’égard de la Russie. Plusieurs pays, à commencer par la Pologne, accentuent la pression sur l’Allemagne et exhortent Berlin à suspendre également le gazoduc Nord Stream 1. Il est peu probable que cela se produise. Pour l’Allemagne, le coût économique serait supérieur aux gains diplomatiques.
Un avertissement pour l’UE : La dépendance énergétique de l’UE vis-à-vis de la Russie ne date pas d’hier. Le problème avait été soulevé en 2014, après l’invasion de la Crimée par la Fédération russe. Mais l’UE et les États membres n’ont absolument rien fait depuis. Nous pensons que la situation en Ukraine servira d’avertissement pour l’UE. Pour réduire sa dépendance à la Russie, l’UE a le choix entre quatre options :
- L’Allemagne et la Belgique changent leur fusil d’épaule concernant le nucléaire.
- L’UE redouble ses efforts pour développer la production de gaz de schiste et pour favoriser les énergies renouvelables.
- L’UE demande aux Etats-Unis d’exporter plus de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’Europe. Les États-Unis exportent actuellement 400 millions de mètres cubes de GNL par jour, un record. Mais pour que cela se produise, il faudrait construire de nouvelles infrastructures de production de GNL, qui coûteraient des milliards de dollars et dont la construction prendrait plusieurs années.
- L’UE intensifie ses efforts pour trouver des sources alternatives d’énergie, dans les pays du Golfe persique (en particulier le Qatar, premier producteur de GNL au monde), en Azerbaïdjan via le corridor gazier sud-européen (mais ce n’est pas la meilleure alternative) et en Afrique du Nord (en particulier l’Algérie, le troisième plus gros fournisseur de gaz de l’UE). À court terme, il n’y a rien à attendre de la Norvège, le deuxième plus gros fournisseur de gaz de l’UE. Le pays a atteint la limite maximale de sa capacité d’exportation.
Répercussions macroéconomiques : Le consensus économique table sur un ralentissement de l’inflation en 2022. Cela n’arrivera pas. Les prix de l’énergie devraient continuer à augmenter. Ce sera un véritable casse-tête pour les banques centrales. Jusqu’à hier, la majeure partie des problèmes auxquels étaient confrontées les banques centrales provenaient de l’impulsion inflationniste résultant de la crise entre la Russie et l’Ukraine. Il y avait un manque de volonté pour freiner les plans de resserrement. Mais c’était avant l’invasion massive de l’Ukraine.
À court terme, plusieurs banques centrales pourraient décider de différer ou de réduire les mesures de resserrement de leurs politiques monétaires. Cela dépendra de l’évolution de la situation sur le terrain. À moyen terme, nous pensons que la situation de guerre alimentera une forte poussée d’inflation, notamment une hausse des prix de l’énergie. Il y a fort à parier que le baril de pétrole se maintiendra durablement au-dessus des $100, par exemple.
Combinée à la hausse des prix dans le secteur des services, aux difficultés d’approvisionnement et à la hausse des salaires dans plusieurs pays, cela signifie que l’inflation continuera à accélérer durant la majeure partie de l’année. L’indice allemand des prix à la production a progressé de 25% en glissement annuel en janvier. Imaginez jusqu’où il pourrait se hisser en cas de forte hausse des prix de l’énergie. Ce qui nous attend, c’est un vaste choc d’inflation qui obligera toutes les banques centrales, même la Banque centrale européenne, à normaliser sa politique monétaire plus rapidement et plus brutalement que prévu.